Pendant, avant, après (?) la littérature, il y a le Journal.
Une écriture quotidienne à la recherche de soi et de l’expression pour se dire. Le Journal a existé avant même que je pense à faire littérature. Il est là pour moi. Hors public. C’est la première fois ici que j’en montre certains aspects.
Depuis août 2000 l’aventure d’aller profondément en moi-même par le langage n’a pas cessé de m’intéresser. Ce sont des pages et des pages de notations serrées. Écrites à la main. Le seul domaine où l’ordinateur n’est pas entré.
Autour de 2010, ce Journal a connu une embranchement passager: le Journal d’une écriture. Qui a répondu pour un temps aux questions qui surgissaient sur la langue. Depuis ce sont les textes qui ont pris le relais de cette interrogation.
D’autres embranchements passagers: un Journal des tirages du Yi Jing, un Journal d’auto-hypnoses, un Journal des tirages du Tarot de Marseille.
Du Journal lui-même je n’ai, je crois, pas tiré une seule expression telle quelle pour l’exporter vers un poème ou un morceau de récit. Le Journal n’est pas une cabine d’essayage pour voir ce qui irait bien en littérature... C’est un lieu d’exploration à part entière. C’est la vie qui est la source
à la fois du Journal et des textes littéraires. Ces deux espaces de langage ayant leurs propres formes, leurs tons, leurs découvertes spécifiques, etc. Ce qui surgit dans le texte littéraire - qui est adressé, même si je ne pense pas au lectorat quand j’écris - n’est pas issu exactement du même espace de moi-même, on dirait...
Le Journal, lui, n’est pas adressé. Ou parfois je m’adresse à moi-même pour m’encourager à vivre. Me réconforter. Me réjouir de ce qui est découvert et de mon courage. J’utilise la langue pour aller plus profondément en moi-même, débusquer les schémas comportementaux, mettre au jour ce que je ressens et pourquoi, relier les figures du présent à ce qu’elles représentent de mon passé, et prendre de la distance, assouplir les automatismes, voire, peut-être m’en défaire ? C’est une entreprise de clarification par la langue. Comme on le ferait d’une substance passée au crible. Encore. Encore. Encore. Et encore plus profondément. Je suis cette substance.
Le Journal a varié dans le ton, dans la manière surtout de regarder qui je suis, mais ce goût du contact avec soi à travers l’effort de se dire est resté des plus vifs. C’est un outil de forage qui d’année en année s’affine. S’adoucit aussi. Dans le sens où plus je vieillis et plus, dans ces pages, il y a d’amour pour ce que je suis, moins il y a de volonté pugnace d’être autre chose que ce que je suis.